Les dernières consultations populaires en Haïti remontent à près de huit ans, soit l’équivalent de deux législatures. Après plus de 217 ans d’histoire électorale, élire la représentation nationale demeure un véritable casse-tête
L’histoire des élections dans la République d’Haïti remonte à l’Assemblée Constituante du 18 décembre 1806. En pleine crise politique suite à la mort de l’Empereur Jacques 1er, la constitution de cette Assemblée était déjà entachée de magouilles, les hommes de l’Ouest et du Sud inventant de nouvelles paroisses (circonscriptions) pour s’assurer d’une majorité dans les premières fondations de l’institution législative du pays.
Les irrégularités entourant cette initiative allaient conduire à l’un des plus grands conflits de l’histoire de la République : le schisme, initié par la déclaration de Christophe depuis la Citadelle Laferrière le 24 décembre 1806.
Les événements de décembre ont, de toute évidence, ancré une culture de luttes mesquines pour la prise du pouvoir en Haïti. Les échéances électorales suivantes, qu’il s’agisse des élections et réélections du Président Alexandre Pétion en mars 1807, 1811 et 1815, ou encore des différentes législatives du 19e siècle et des présidentielles indirectes de cette période, ont généralement été empreintes de sérieux soupçons d’irrégularités et de manipulations.
Le suffrage universel direct et le vote des femmes
Pendant près d’un siècle et demi d’histoire, la République d’Haïti n’a élu ses présidents qu’au suffrage indirect. Il a fallu attendre le 8 octobre 1950 pour que les premières présidentielles au suffrage universel direct aient lieu. Cependant, ces élections avaient encore une allure particulière, étant presque unilatérales si ce n’était la candidature de l’architecte Fénelon Alphonse.
En effet, le Colonel Paul Eugène Magloire, accompagné des officiers Antoine Levelt et Franck Lavaud, avait renversé le Président Dumarsais Estimé pour s’emparer du pouvoir, avant d’organiser une élection quelques mois plus tard. Le 8 octobre 1950, les premières élections présidentielles au suffrage universel direct eurent lieu, avec un électorat exclusivement masculin, et Paul Eugène Magloire fut élu pour six ans avec plus de 99 % des voix exprimées.
Sept ans plus tard, lors des élections du 22 septembre 1957, pour la première fois dans l’histoire du pays, les femmes furent autorisées à voter. Sous la houlette de l’armée, et à l’issue d’une lutte électorale sans merci, ces élections conduisirent à l’élection du dictateur François Duvalier, lors d’un face-à-face avec Louis Déjoie, ancien sénateur.
Les élections dans l’histoire immédiate
Les élections de septembre 1957, bien qu’incarnant des symboles démocratiques tels qu’un pluralisme formel, le droit de vote reconnu aux femmes et la poursuite de l’expérience du suffrage universel, ont conduit le pays à près de 29 ans de dictature sanguinaire. Il a fallu attendre le référendum constitutionnel du 29 mars 1987, trois décennies plus tard, pour avoir la première véritable consultation populaire sur les affaires publiques.
La Constitution de 1987 a apporté un élan démocratique au pays, marquant l’entrée d’Haïti dans la troisième vague de démocratisation. Cependant, dès les premières tentatives, les vieux démons militaristes ont ressurgi, entachant de sang les élections du 29 novembre 1987 avec un massacre à la ruelle Vaillant.
Élu lors d’une joute électorale entachée d’irrégularités et tenu en laisse par l’armée, le premier Président élu de l’ère démocratique haïtienne n’a pas tenu cinq mois, renversé par le Conseil d’État, donnant lieu à une suite de gouvernements provisoires jusqu’aux élections du 16 décembre 1990.
Considérée comme la première véritable élection démocratique de l’histoire du pays, cette date symbolisait une nouvelle ère pour Haïti, marquant la rupture avec une histoire dominée par le pouvoir militaire et les coups de force électoraux.
Pourtant, cette expérience n’allait pas durer. Huit mois après l’installation de Jean-Bertrand Aristide comme président de la République, un coup d’État militaire allait encore une fois freiner cet élan démocratique.
Les élections de 1995, les premières réalisées en l’absence totale du pouvoir militaire, allaient toutefois donner naissance à un nouvel obstacle démocratique qui perdure encore aujourd’hui : les faibles taux de participation électorale. Les présidentielles du 17 décembre 1995 avaient accusé un faible taux de participation de 28 %. Cette perte de confiance ne s’est pas arrangée avec le temps. Les débâcles électorales d’avril 1997 n’ont pas fait mieux, avec 7 % de participation et une annulation pour fraudes. Plus tard, les élections du 21 mai 2000, bien qu’ayant atteint la barre des 60 % de participation, ont été entachées par de sévères irrégularités, conduisant le pays vers la crise politique.
En 2006, le taux de participation avait été juste en dessous de la barre des 60 %, mais depuis, ce fut une longue descente aux enfers, traduisant une perte de confiance de la population dans la démocratisation du pays. Seulement 11,8 % lors des sénatoriales du 19 avril 2009, 22,9 % lors des élections générales du 28 novembre 2010, 27,44 % lors des sénatoriales partielles et des élections locales du 29 janvier 2017, et 21 % lors des présidentielles et législatives partielles du 20 novembre 2016, dernières élections en date.
Il est pourtant clair aujourd’hui que l’abstention du vote ne peut être que catastrophique. Ne pas voter, c’est choisir de lâcher les gouvernails du navire en pleine tempête. Les résultats du déni démocratique se font aujourd’hui ressentir : le pays n’a eu aucune autorité élue depuis plus de trois ans, et la gouvernance du pays accuse un déficit de légitimité criant.
À la veille de l’enclenchement d’un processus électoral, il est désormais nécessaire pour les citoyens d’avoir une compréhension approfondie des enjeux électoraux en Haïti. Un prochain article sur le rôle des élections en démocratie, ainsi qu’une série d’autres contenus dans les colonnes du Journal La Ruche devraient y contribuer.