Maître des mots, doté d’une grande culture et d’une détermination indéfectible, Boisrond-Tonnerre est ce brillant écrivain qui traduisait avec véhémence les pensées du Général en chef de l’armée indigène, Jean Jacques Dessalines. Malgré son rôle incontournable au tournant de l’histoire d’Haïti, son nom ressort très peu dans les passages retraçant l’épopée de la première République noire. Un nom qui n’est pas valorisé à juste titre dans la mémoire collective haïtienne, à en croire le journaliste originaire de la ville de Boisrond-Tonnerre, James Francisque.
Au lendemain de la bataille de Vertières, soldée par la victoire des indigènes, le 18 novembre 1803, le général Jean Jacques Dessalines souhaite rapidement acter l’indépendance de la nouvelle nation. Mais il lui faut un auteur qui soit l’incarnation même de son idéal pour rédiger cet acte fort important. Cette tâche délicate est confiée, dans un premier temps, au général Chareron qui fait de son mieux. Mais le résultat est loin de celui escompté par le gouverneur. À moins de 24 heures de la date prévue pour la proclamation de l’indépendance de la nouvelle nation, la question se pose : à quelle plume confier la rédaction de ce précieux document dans le style qui convient au chef, déjà en fureur ?
« Pour rédiger l’Acte de l’indépendance, il nous faut la peau d’un blanc pour parchemin, son crane pour écritoire, son sang pour encre et une baïonnette pour plume », déclare avec ferveur Boisrond-Tonnerre, conseiller et secrétaire personnel du général. Des paroles désormais « célèbres » qui, certes, sont empreintes d’une répulsion violente, mais dotées d’une magie qui foudroie Jean Jacques Dessalines qui décide alors de confier à son conseiller et fidèle ami, la nouvelle rédaction de l’acte. L’occasion pour le jeune historien d’inscrire son nom en lettre capitale dans la mémoire d’Haïti.
Qui est ce personnage héroïque ?
Passionné de lettres, Louis Philippe Mathurin Boisrond-Tonnerre, de son nom complet, naquit le 6 juin 1776 dans le Sud du pays, à Torbeck. Fils d’un charpentier blanc, il reçut une éducation française. En dépit des avantages sociaux dont il aurait pu bénéficier en raison de son métissage, Boisrond-Tonnerre s’appropria de la cause des noirs, dès son retour à Saint-Domingue en 1798.
Selon les historiens, sa rencontre avec le général Jean Jacques Dessalines a eu lieu au camp Gérard à Saint-Louis du Sud, où il travaillait comme receveur au bureau des douanes. Séduit par le dévouement du jeune mulâtre pour la cause révolutionnaire et sa maîtrise passionnante du créole, le général fait de lui son secrétaire personnel. « Boisrond-Tonnerre est l’un des héros de l’indépendance qui défendait le créole à son époque, car il l’avait toujours au bout de ses lèvres partout où il passait », commente James Francisque, promoteur de la langue créole.
Le gouverneur Dessalines se retrouva en son jeune conseiller, voyant en lui une fougue et une rage qui lui étaient familières. Dans un laps de temps, l’adjudant-général Boisrond-Tonnerre intégra le cercle intime du général et devint l’un de ses plus fidèles alliés. Ce rapprochement et la manière dont il gravissait les échelons, suscitèrent sans l’ombre d’un doute beaucoup de haine et de jalousie dans l’entourage de l’empereur.
En effet, le premier écrivain et historien haïtien, auteur des “Mémoires pour servir à l’histoire d’Haïti”, demeura fidèle à l’Empereur Jacques 1er jusqu’à son dernier souffle. Arrêté le 17 octobre 1806, le jour où le père de la patrie périt au Pont-Rouge, Boisrond-Tonnerre profita de ses dernières heures avec tout ce qu’il lui restait, la poésie, dans une prison à Port-au-Prince où il fut lâchement assassiné dans la nuit du 23 à 24 octobre 1806. Dans le mur de son cachot il y laissa ses derniers mots.
Humide et froid séjour fait par et pour le crime
Où le crime en riant immole sa victime
Que peuvent inspirer tes fers et tes barreaux
Quand un cœur pur y goûte un innocent repos ?
Pour la restauration de sa mémoire
Malgré son rôle majeur dans la révolution haïtienne comme adjudant-général, conseiller et secrétaire personnel de Jean Jacques Dessalines, l’héroïsme de Boisrond-Tonnerre est peu valorisé dans la mémoire collective haïtienne. Selon les analyses du journaliste James Francisque, dans une interview avec Azuei Le journal, ce défaut de reconnaissance est le fruit de la vision politique et idéologique des anciens libres qui voulaient anéantir le rêve dessalinien.
« Dessalines et son entourage, y compris Boisrond-Tonnerre, les empêchaient d’instaurer leur système féodaliste et néocolonialiste dans la nouvelle République. Même quarante ans après leurs assassinats, mentionner leurs noms était considéré comme un acte répréhensible, un affront à l’égard du système établi », raconte M. Francisque, membre fondateur de « Mouvman Jèn Boisrond-Tonnerre » (MJBT).
En dépit de cette tentative fallacieuse d’effacer le nom de cet homme de valeur qui a combattu aux côtés de Dessalines, Boisrond-Tonnerre est resté vivant dans la mémoire des nouveaux libres. « Pour cette catégorie sociale, Boisrond-Tonnerre reste un mapou reconnu pour son honneur et ses mérites, pour ses accomplissements, depuis son travail dans l’ombre jusqu’à sa participation à la rencontre du 6 juillet 1803 au camp Gérard », explique le philosophe et militant écologiste, James Francisque.
Cependant, cette grande admiration à l’égard du rédacteur de l’Acte de l’indépendance n’a pas suffi au petit peuple pour institutionnaliser sa mémoire, selon le chercheur. « Le fait est qu’ils [les nouveaux libres] n’ont jamais été aux commandes. D’où l’ignorance et l’incompréhension de l’accomplissement de cet homme de prestige dans l’histoire d’Haïti…Pratiquement rien n’a été fait pour restaurer sa mémoire », regrette-t-il.
Ce n’est qu’en 2018 que les habitants de la ville de Boisrond-Tonnerre ont pris connaissance des circonstances entourant l’assassinat de leur héros. Cette même année, quelques jeunes de Torbeck ont pris l’initiative d’honorer la mémoire du premier historien de la nation, en instaurant le « Mouvman Jèn Boisrond-Tonnerre ». Ils ont pu compter sur les supports de M. Charles Hervé, député de Torbeck à l’époque, et de l’ancienne mairesse Guildie Joseph qui a mis le bus Boisrond-Tonnerre à la disposition du public, en témoigne James Francisque. « Ce projet s’inscrit dans la démarche de réveiller l’idéal de Boisrond-Tonnerre dans le processus de transformation sociale du pays, interrompu depuis 1806, suite aux séries d’assassinats perpétrés contre l’empereur et ses fidèles généraux. Un idéal qui s’articule autour de trois grands piliers : l’éducation, la justice sociale et la réhabilitation de la race noire et des indigènes », a fait savoir M. Francisque qui est également coordonnateur de « Kalbas Ayiti » et secrétaire général de « Platfom Okay Reviv ».
Marquant l’histoire de la première république noire à l’encre indélébile, Boisrond-Tonnerre fut l’un des loyaux alliés de l’Empereur Jacques 1er ayant saisit l’essence de son idéologie. Pionnier de la littérature haïtienne, sa plume a été une arme redoutable dans l’indépendance d’Haïti. Au regard de ce qu’il représente dans l’histoire, il est nécessaire de restaurer sa valeur dans la mémoire collective haïtienne.
Bon travail !