Bien que souvent méconnue, la scène de la mode en Haïti est en plein essor, portée par des créateurs audacieux qui réinventent l’élégance en s’inspirant des riches traditions de l’île. Ils allient histoire et innovation pour créer une mode unique et captivante.
Histoire, tradition, créativité et savoir-faire d’exception : autant d’éléments qui se mélangent harmonieusement pour propulser les tendances et l’identité vestimentaire haïtienne. Malgré le scepticisme de certains, alimenté par la prévalence des friperies et des pièces de contrefaçon, les créateurs de mode en Haïti ne manquent pas. Ils fusionnent avec talent les tissus et leur expertise exceptionnelle pour donner vie à des créations originales et authentiques.
« L’évolution récente de la mode en Haïti montre une fusion réussie entre traditions culturelles et influences contemporaines », affirme Iris Duhamel Augustin, experte en marketing et coach de style.
Elfauda Batalien, styliste-modéliste et couturière talentueuse, entrevoit un véritable espoir dans une industrie de la mode haïtienne « dynamique et d’une créativité palpable ». « De nos jours, nous voyons plus de jeunes investir dans le domaine de la mode et faire de cette passion un métier », raconte celle qui est à l’origine de LfaudaCouture.
Cependant, ce dynamisme est freiné ces dernières années par un contexte socio-économique et sécuritaire difficile. Pour Elfauda, cette conjoncture rend la planification à long terme ardue et freine les investissements dans la mode en Haïti. Iris Duhamel Augustin ajoute qu’il y a « un grand vide à combler » sur la scène locale.
Les créateurs de mode qui façonnent l’Haïti d’aujourd’hui
Si l’industrie de la mode continue à s’évertuer en Haïti, c’est sans conteste grâce aux talents sûrs qui ne cessent de produire. Iris Duhamel Augustin, qui est également bloggueuse de mode et lifestyle (LaMoumous), trouve que plusieurs créateurs haïtiens ont un impact notable sur les tendances mondiales. C’est le cas, selon elle, de figures comme Miko Guillaume, Stella Jean, David André, Maelle David ou encore Phelicia Dell.
Pour Iris Duhamel Augustin, Miko Guillaume met en valeur l’artisanat local et les textiles traditionnels haïtiens avec des créations qui « marient des coupes contemporaines avec des motifs et des broderies inspirées de la culture haïtienne, ce qui lui vaut une reconnaissance croissante sur la scène internationale ».
Stella Jean, styliste et créatrice italo-haïtienne, intègre des motifs et techniques artisanales dans ses collections pour « fusionner la mode occidentale avec des éléments de diverses cultures, y compris haïtienne ». David André, un autre créateur haïtien, « se distingue par son utilisation de techniques de couture sophistiquées et de matériaux de qualité ». Pour Iris Duhamel Augustin, les collections de ce dernier « reflètent un mélange subtil de tradition et de modernité, attirant l’attention des connaisseurs de mode à l’échelle mondiale ».
De plus, la coach de style voit dans le travail de la talentueuse styliste et modéliste Maëlle David une approche « durable et éthique » de la mode. Quant à Phelicia Dell, elle décèle dans ses designs contemporains une célébration de l’art et la culture haïtienne, un engagement envers l’artisanat local, ainsi qu’une exploration de nouvelles perspectives dans la mode haïtienne.
Également, Iris Duhamel n’a pas négligé l’apport de marques comme Bijou Lakay, Atelier Calla, Kreativ, ou encore Tisaksuk qui contribuent à renforcer l’identité vestimentaire haïtienne, tout en mettant en valeur l’artisanat local et les matériaux traditionnels comme le coton et la soie.
Elfauda Batalien: « Mes créations sont principalement inspirées par la richesse de la culture haïtienne »
Elfauda Batalien, styliste-modéliste, s’inspire profondément de la riche tradition afro-haïtienne, tout en y intégrant une touche de modernité. « Je peux créer une robe contemporaine en utilisant des tissus traditionnels comme le karabela ou en incorporant des broderies typiques de l’art haïtien. L’objectif est de célébrer notre identité tout en restant pertinent dans le monde de la mode moderne », confie-t-elle.
Pour Elfauda, la mode en Haïti est un secteur en pleine expansion. Des événements comme la Haiti Fashion Week et des participations à des expositions internationales permettent de mettre en lumière les talents locaux. Elle souligne que certaines figures sont particulièrement inspirantes pour les jeunes créateurs haïtiens. « Prenons l’exemple de Marie Jean-Baptiste, qui a créé son magasin de confection en ligne en 2011 et dont les créations ont été portées par des célébrités comme Nicki Minaj, Amber Rose et Beyoncé. Davidson Petit-Frère, dont les costumes ont été portés par des personnalités publiques comme Stephen Curry, Kevin Hart et Jay-Z, est un autre exemple de réussite », raconte-t-elle, tout en ajoutant les noms de Stella Jean, Fabrice Tardieu, Jovana Benoît, Christelle Dominique, Prajje Jr Oscar-Baptiste, Phelicia Dell, et Viviane Valerius.
Cependant, la route est semée d’embûches pour les créateurs de mode haïtiens, qui doivent composer avec les défis logistiques, l’instabilité et les contraintes économiques du pays. Selon Elfauda, pour véritablement dynamiser cette industrie créative, il est essentiel de « surmonter les défis logistiques et économiques, et investir davantage dans les infrastructures et la formation ». Elle est optimiste : « Le potentiel est immense, et avec plus de soutien, nous n’aurons rien à envier aux grandes maisons de mode à l’échelle mondiale. »
Un scepticisme de bonne foi?
Beaucoup pensent que la mode peine à évoluer en Haïti, restant figée dans la tradition et les couleurs nationales. C’est le cas de Sherby Ladgé Pétion, grande admiratrice des tendances vestimentaires, qui voit tant les créateurs que les consommateurs haïtiens comme conservateurs.
« Je pense qu’en Haïti, nous ne sommes pas prêts pour la mode. Nous restons coincés dans un seul style vestimentaire et nous refusons d’évoluer. Les gens ont peur de prendre des risques, d’essayer de nouveaux styles, de porter autre chose qu’un tee-shirt et un jean », affirme-t-elle. « Si on ne veut pas risquer, on ne peut pas être un bon créateur de mode au 21ème siècle. »
Sherby estime que les pensées uniformes, les jugements de valeur et les croyances religieuses sont parmi les principales sources de critiques, freinant ceux qui osent sortir des sentiers battus. « Les semaines dernières, j’ai vu que les médias haïtiens se moquaient d’un homme qui avait porté un crop top sur les réseaux sociaux. Il y avait tellement de commentaires négatifs alors qu’actuellement, il existe des crop tops pour les hommes. Selon leur morphologie, cela peut être très stylé, mais malheureusement, un Haïtien n’oserait jamais à cause des critiques. Les Haïtiens ne respectent pas le style vestimentaire des autres et critiquent les styles qu’ils ne comprennent pas. »
Une chose est certaine : la mode est un art, et tout art est liberté.