« Achab rapporta à Jézabel tout ce qu’avait fait Élie, et comment il avait tué par l’épée tous les prophètes. 2Jézabel envoya un messager à Élie, pour lui dire: Que les dieux me traitent dans toute leur rigueur, si demain, à cette heure, je ne fais de ta vie ce que tu as fait de la vie de chacun d’eux! » 1 Roi 19 verset 1 et 2.
La toute première fois que le mot « Jézabel » a touché mes oreilles, une onde de frisson m’a parcouru. Au fil des instants, il est devenu plus qu’un simple mot : il s’est transformé en un souhait secret, une aspiration enfouie dans les replis de mon être, désirant ardemment revêtir une telle appellation. Un nom qui résonne dans les étendues désertiques et sur les sommets majestueux des montagnes, un nom qui insuffle confiance et assurance, qui relève de la gloire et du pouvoir…. Un nom qui semble prophétiser la libération triomphante de la femme.
Toutefois, après avoir assisté à un sermon religieux où le pasteur exhortait les jeunes filles de l’église à se conformer aux normes traditionnelles de féminité, à « obeyi, kwè », à préserver leur intégrité physique et spirituelle pour attendre et accéder à la promesse d’un mariage futur, à adopter une tenue et un comportement respectables et honorables (se couvrir les genoux, garder un teint et un visage naturels), à éviter tout désir charnel, bref, à ne pas être une « Jézabel », j’ai réalisé que les désirs qui m’envoûtaient n’étaient que péchés et que cette figure féminine était à tout prix un exemple à éviter.
En écoutant ce sermon, je me suis trouvé en proie à une foule d’interrogations sur la réputation sombre de Jézabel. Avait-elle orchestré un génocide, détruit des nations entières ou était-elle de mèche avec celui qui a pu trahir Jésus ? Qu’avait-elle fait pour mériter un tel mépris ? Ces questions m’ont poussé à plonger dans les récits bibliques, à la recherche de réponses.
Voici l’histoire de la reine Jézabel, telle qu’elle est décrite par la Bible (1 et 2 Rois) :
Jézabel, mariée au roi d’Israël, Achab, pour sceller une alliance politique, est souvent perçue comme un simple pion dans cette transaction (réflexion provenant des roules des femmes de l’époque en Israël). Dès son arrivée en Israël, elle entre en conflit avec la classe religieuse en introduisant ses propres prêtres et prêtresses, et en érigeant des sanctuaires pour vénérer ses propres dieux, ce qui contrarie le prophète d’Israël de l’époque, « le prophète Elie ». Il prédit donc une sécheresse en signe de mécontentement divin envers les actions du roi Achab et de la reine Jézabel. Après un temps d’exil dans le désert, Élie revient pour défier Achab et Jézabel.
Une sécheresse sévère s’abat sur le pays, entraînant une famine généralisée. Sur le mont Carmel, Élie met au défi et organise un duel entre les prêtres de Baal, les dieux de Jézabel, et lui-même, le prophète de l’Eternel. Le défi consiste à faire enflammer un taureau sacrificiel sur un autel, et la divinité qui y parviendra sera reconnue comme le vrai Dieu. Après un rituel de prière intense et sans succès du camp de Baal, Élie appelle Yahvé qui enflamme miraculeusement le taureau, démontrant ainsi la supériorité de son Dieu sur Baal.
Après qu’Élie ait démontré la supériorité du Dieu d’Israël sur les dieux de Jézabel lors du duel sur le mont Carmel, Jézabel continue sa lutte pour le pouvoir en orchestrant le meurtre de Naboth pour obtenir ses vignobles pour son mari, le roi Achab. Élie confronte Achab pour cet acte injuste, prédisant la mort d’Achab et de Jézabel. Bien qu’Achab se repente, le jugement est seulement repoussé jusqu’au règne de ses fils.
Après la mort d’Achab et l’ascension de Jéhu au pouvoir, Jézabel se retrouve confrontée à sa chute imminente. Alors que Jéhu approche de la ville de Jizreel pour l’affronter, Jézabel se pare (se maquille) et regarde par la fenêtre, geste traditionnellement interprété comme une tentative de séduction pour sauver sa vie. Cependant, Jéhu, indifférent à son charme, ordonne à ceux qui l’entourent de la jeter par la fenêtre. Malgré son geste de préparation, la mort de Jézabel est violente et sans pitié, mettant ainsi fin à son règne.
Ce récit, souvent considéré comme l’événement central illustrant la cruauté de Jézabel, a façonné sa réputation pendant plus de deux millénaires. Elle est devenue l’archétype de la méchanceté féminine dans la Bible, dépeinte comme une meurtrière, une prostituée et une ennemie de Dieu. Son nom a même été associé à des lignes de lingerie et des missiles de la Seconde Guerre mondiale, selon l’historienne et bibliste Janet Howe Gaines.
Pour résumer l’histoire de Jézabel, elle se distingue par sa résistance aux croyances et pratiques religieuses de son mari et de sa culture, ainsi que par ses actes controversés, dont le meurtre d’un sujet refusant de céder ses terres au roi (pratique courante de l’époque). Sa décision de se maquiller avant sa mort, traditionnellement interprétée comme un geste de séduction et de prostitution, a également marqué les esprits.
Je ne m’interroge guère sur sa religion et le fondement de ses croyances, mais lorsque le prophète Elie a gagné cette confrontation haut la main, il a fait exécuter tous les prophètes du dieu du camp adverse. Par conséquent, face à cette fin tragique, d’un point de vue pragmatique, je rejoins les pensées de Gaines qui écrit dans son article intitulé : « How bad was Jezabel » :
« Ironiquement, à la fin de l’épisode du Carmel, Elie se révèle capable des mêmes penchants meurtriers que ceux qui caractérisaient Jézabel auparavant, bien que ce soit seulement elle que le deutéronome critique. Après avoir remporté le concours du Carmel, Élie ordonne immédiatement à l’assemblée de capturer tous les prophètes de Jézabel. Elie déclare avec insistance : ” Saisissez les prophètes de Baal, qu’aucun d’eux n’échappe ! ” (1 Rois 18, 40). Élie conduit ses 450 prisonniers au Wadi Kishon, où il les massacre (1 Rois 18 :40). Bien qu’ils ne se rencontrent jamais en personne, Élie et Jézabel sont engagés dans une lutte acharnée pour la suprématie religieuse. Élie révèle ici que Jézabel et lui possèdent une ferveur religieuse similaire, bien que leurs loyautés soient très différentes. Ils sont également déterminés à éliminer les partisans de l’autre, même si cela implique de les assassiner. La différence est que le deutéronomiste décrie le meurtre des serviteurs de Dieu par Jézabel (à 1 Rois 18 :4) mais sanctionne maintenant la décision d’Élie de massacrer des centaines de prophètes de Jézabel. En effet, une fois qu’Élie a tué les prophètes de Jézabel, Dieu le récompense en envoyant la pluie tant attendue, mettant fin à une sécheresse de trois ans en Israël. Il y a clairement deux poids deux mesures ici. Le meurtre semble être accepté, voire vénéré, tant qu’il est commis au nom de la bonne divinité ».
Ganes, How bad was Jezabel
Bref, revenons à nos maux et tons…
L’histoire révèle que les femmes phéniciennes jouissaient d’une grande liberté et étaient souvent considérées comme presqu’égales aux hommes. Elles occupaient des rôles importants dans la société, y compris celui de prêtresses, et participaient activement aux rassemblements religieux. En tant que phénicienne et fille d’un grand prêtre, Jézabel aurait été élevée dans cet environnement et aurait été initiée au sacerdoce. Son conflit avec Élie peut être interprété comme le résultat d’un choc culturel, les Israélites n’étant pas habitués à l’autorité et à l’affirmation d’une femme[1].
Ce point de vue ne cherche pas à idéaliser Jézabel ni à justifier ses actions, mais plutôt à nuancer son portrait souvent diabolisé et unidimensionnel. La qualifier systématiquement de méchante sans équivoque et sans pareille semble relever davantage à une misogynie profonde, à mon sens, qu’à une analyse objective de son personnage.
Certes, Jézabel a participé à des actes condamnables, comme l’exécution de Naboth et la promotion de pratiques religieuses contestées. Il est possible qu’elle ait utilisé la ruse ou la cruauté pour atteindre ses objectifs, parfois dans le but de protéger ses convictions et le pouvoir de son mari. Cependant, lui jeter constamment la première pierre est une exagération criante. Et comme le suggère Gaines :
« Il y a plus dans cette souveraine complexe que l’interprétation standard ne veut l’admettre. Pour parvenir à une évaluation plus positive du règne troublé de Jézabel et à une compréhension plus profonde de son rôle, nous devons évaluer les motifs des auteurs bibliques qui condamnent la reine. En outre, nous devons relire le récit du point de vue de la reine. Au fur et à mesure que nous reconstituons le monde dans lequel Jézabel a vécu, une image plus complète de cette femme fascinante commence à émerger. L’histoire n’est pas belle à voir, et certains lecteurs – peut-être la plupart – resteront perturbés par les actions de Jézabel. Mais son caractère n’est peut-être pas aussi sombre que nous avons l’habitude de le penser. Sa méchanceté n’est pas toujours aussi évidente, incontestée et inégalée que l’auteur biblique ne veut le faire croire ».
Ganes
Dans une société comme la nôtre, où la volonté de réfléchir et de remettre en question est souvent étouffée par la crainte des réactions négatives de toute une communauté envers ceux qui osent exprimer leur incompréhension ou leur quête de vérité, ou par la peur de transgresser les normes religieuses, il est compréhensible que certaines idées continuent d’être transmises de génération en génération. De mon point de vue, il est aussi intéressant de constater comment certaines notions historiques continuent d’influencer la société contemporaine, y compris dans la manière dont les femmes sont perçues et jugées. L’analogie avec le terme “Jézabel” pour décrire les femmes qui s’expriment librement et qui affirment leurs décisions malgré les regards et les critiques extérieures est révélatrice des dynamiques de pouvoir et de genre encore présentes aujourd’hui. En effet, de nos jours, les femmes qui refusent de se conformer aux attentes de la société en matière de comportement, de carrière ou de style de vie sont parfois étiquetées comme des « Jézabel », sous-entendant qu’elles sont dangereuses ou déviantes. Cette étiquette est souvent utilisée pour les discréditer et les marginaliser, les empêchant ainsi de s’épanouir pleinement dans leur vie personnelle et professionnelle.
Bien que cet article n’ait pas pour intention de glorifier les actions de cette reine ni de justifier l’utilisation de son nom avec les connotations négatives qui lui sont souvent associées, il est indéniable que son courage et sa détermination dépassaient les normes de son époque. Par ailleurs, il revient à chacun de choisir comment interpréter le personnage de Jézabel, qu’il soit en accord avec son image traditionnelle ou qu’il la voit sous un nouveau jour, plus nuancé. Toutefois, en examinant attentivement les récits bibliques de I et II Rois, et en gardant à l’esprit les intentions narratives des auteurs, il est possible de trouver des raisons de repenser l’image souvent stigmatisée de la “méchante” reine Jézabel. Peut-être est-il temps d’aborder cette histoire, ainsi que ce nom infâme, sous un autre angle et de reconnaitre les aspects de courage et de détermination qui mérite notre réflexion… et qui sait, notre admiration.
Merci , J’ai bien lu et apprécié.