L’insécurité en Haïti atteint des sommets vertigineux. Aucun secteur n’est épargné, et les journalistes, ces vigies de la démocratie, en paient un lourd tribut. Ils sont pris pour cibles, menacés, kidnappés, parfois assassinés. Leur mission de témoigner des réalités du pays se heurte à la violence omniprésente, les rendant vulnérables dans un environnement où l’information devient une denrée périlleuse.
Depuis quelques années, la figure emblématique de Jean Léopold Dominique, assassiné en 2000, semble s’effacer dans la mémoire collective. Ce silence n’est pas un oubli : il reflète l’horreur quotidienne d’un métier censé devenir une profession de foi en Haïti. Le nombre de journalistes tués a explosé, plaçant le pays parmi les plus dangereux pour la presse. En 2023, Haïti occupait la 93ᵉ position sur l’indice mondial de la liberté de la presse, un classement qui traduit le recul de la démocratie et l’emprise des forces obscures.
Ces dernières années, outre ces données chiffrées, c’est aussi dans un climat de peur, menaçant, que les différents médias et travailleurs de la presse exercent leur métier. Il y a tout juste quelques semaines, l’un des principaux chefs de gangs a publiquement menacé quelques journalistes, parmi lesquels Johnny Ferdinand, Luckner Désir, Esaïe César, etc. Aussi, d’autres, comme François Jhony Spenser, déclarent recevoir des menaces anonymes, les décourageant de poursuivre leur travail.
L’UNESCO, lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse en mai 2024, rappelait avec gravité : « Haïti est devenu l’un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes, avec 11 travailleurs des médias tués depuis janvier 2022. » Une statistique glaçante, derrière laquelle se cachent des histoires tragiques. Outre les assassinats, des dizaines de professionnels ont été kidnappés, blessés ou portés disparus. Les locaux de médias sont régulièrement attaqués, détruits par des bandits qui cherchent à museler la vérité.
La litanie des morts est effroyable. Le 21 mars 2024, Nerval Pierre Viliat, jeune journaliste de 26 ans travaillant pour Echo News, est mort après avoir été touché par une balle perdue à Delmas. Un an plus tôt, Dumesky Kersaint tombait sous les balles à Carrefour. Le mois d’avril 2023 fut également sombre : Ricot Jean, journaliste à Radio-Télé Evolution Inter, a été abattu à Saint-Marc, tandis que Paul Jean Marie de Radio Lumière était tué chez lui à Onaville. Des meurtres ciblés qui illustrent l’insécurité grandissante dans tout le pays.
La liste continue. En janvier 2022, Wilguens Louis-Saint et John Wesley Amady sont fauchés lors d’une fusillade. Quelques mois plus tard, Maxihen Lazzare est tué alors qu’il couvrait une manifestation. En septembre de la même année, Charles Frantzen et Tayson Lartigue tombent sous les balles dans un reportage à Cité Soleil. François Jhony Spenser, co-PDG du journal Le Quotidien News, a été enlevé en novembre 2021. Il fait partie des nombreux journalistes kidnappés ces dernières années, certains jamais revus, comme le photojournaliste Vladjimir Legagneur disparu en 2018.
Le fléau des enlèvements touche des figures éminentes. Blondine Tanis, kidnappée en 2023, n’est qu’un exemple récent d’une longue liste où figurent également Robert Denis, Lebrun Saint-Hubert, et Sandra Duvivier. Certains ont été libérés après le paiement de lourdes rançons, d’autres ont trouvé la mort dans les mains de leurs ravisseurs. De 2021 à 2023, plus de 16 journalistes ont été kidnappés. Derrière ces chiffres se cache sans doute une volonté claire : réduire au silence ceux qui osent défier l’impunité et dénoncer le chaos.
Ce tableau sombre exige plus que jamais une réponse urgente. La presse, pilier fondamental de la démocratie, ne peut continuer à opérer sous une telle menace. Le sort des journalistes en Haïti n’est pas qu’une crise sectorielle : c’est le symptôme d’un État en déliquescence, où les droits les plus fondamentaux sont bafoués. Renforcer la sécurité des journalistes, rétablir l’état de droit, et garantir la liberté d’expression sont des impératifs pour sauver ce qui reste de la démocratie haïtienne.