Dans un monde en mutation rapide, les défis environnementaux et climatiques imposent de nouvelles réalités, particulièrement sévères pour les petits États insulaires en développement comme Haïti. Comment cet État caribéen, aux prises avec les forces de la nature et les faiblesses institutionnelles, peut-il naviguer à travers ces turbulences ?
Le réchauffement climatique constitue un danger de premier ordre, hélas largement négligé dans le débat public haïtien. Les préoccupations quotidiennes telles que la crise alimentaire, l’insécurité ou l’instabilité politique accaparent les esprits, éloignant les discussions des risques environnementaux et climatiques. Pourtant, depuis des décennies, les effets du changement climatique se font sentir, exacerbant les crises déjà en cours.
Haïti figure parmi les pays les plus vulnérables aux phénomènes météorologiques extrêmes. Ces dernières années, les ouragans ont occasionné des dommages se chiffrant en milliards de dollars. En 2012, l’ouragan Sandy a causé des dégâts évalués à au moins 74 millions de dollars, selon la Banque de la République d’Haïti (BRH) dans son sixième “Cahier de recherche”, publié le 18 mai dernier. Quatre ans plus tard, en 2016, l’ouragan Matthew, bien plus dévastateur, a engendré des dommages estimés à 2,8 milliards de dollars, soit plus de 22 % du PIB du pays. Ces chiffres illustrent l’impact économique majeur des catastrophes naturelles et soulignent la nécessité d’intégrer le risque climatique dans la planification économique et les stratégies de développement du pays.
Une vulnérabilité croissante
Les défis auxquels le pays est confronté ne cessent de s’aggraver. En plus des problèmes structurels, les risques climatiques ne font pas de quartier à Haïti. Classé parmi les trois pays les plus exposés aux risques climatiques après Porto Rico et le Myanmar dans l’indice mondial des risques climatiques de 2021, le pays a subi, de 2000 à 2019, 80 événements climatiques. En plus de ces risques climatiques, d’autres aléas naturels tels que les tremblements de terre, comme celui de 2010 qui a entraîné la perte de plus de 120 % du PIB du pays, sont à prendre en compte.
Les conséquences des événements climatiques sur le pays sont exacerbées par des facteurs clés tels que la désertification de 98 % de la couverture forestière du pays, les lacunes dans l’aménagement du territoire et sa faible capacité de résilience. Selon la Banque mondiale, pas moins de 96 % de la population est exposée aux risques climatiques. Le changement climatique devrait accroître la fréquence, l’intensité et les impacts des phénomènes météorologiques extrêmes, et le pays manque encore de mécanismes de préparation et d’adaptation adéquats. Les répercussions sur les petites économies telles que Haïti sont profondes et touchent particulièrement les couches les plus vulnérables de la population.
Climat et insécurité alimentaire
Le réchauffement climatique a des répercussions graves sur la sécurité alimentaire dans le monde, en particulier dans les pays en développement. Selon la Banque mondiale, outre ses effets néfastes sur les régimes météorologiques, le changement climatique affecte directement la production agricole de certains pays. “Dans les régions du monde où l’eau est déjà rare, le changement climatique aura de plus en plus d’impacts négatifs sur la production agricole en raison de la diminution des réserves hydriques, de la multiplication des épisodes extrêmes tels que les inondations et les tempêtes violentes, de l’augmentation du stress thermique et de la prévalence croissante des parasites et des maladies”, explique William R. Sutton, expert mondial en agriculture climato-intelligente à la Banque mondiale.
En Haïti, l’insécurité alimentaire est devenue un défi majeur ces dernières années. Selon la dernière communication de la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA) en mars dernier, 4,97 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, dont 17 % se trouvent dans une situation d’urgence alimentaire.
“L’insécurité alimentaire en Haïti découle de problèmes structurels profonds, de politiques commerciales internationales, de déficits de développement et de faibles récoltes causées par des chocs climatiques, ce qui a entraîné une hausse des prix des denrées alimentaires”, a souligné le Conseil économique et social des Nations Unies en février dernier.
Innovation et résilience institutionnelle
Les pays en développement sont les plus durement touchés par les conséquences du changement climatique, bien qu’ils en soient les moins responsables. Pour faire face à ces conséquences, des pays comme Haïti doivent être en mesure de financer intelligemment leurs capacités de résilience et de promouvoir l’innovation dans des secteurs clés.
Aujourd’hui, les effets de la crise climatique sur des secteurs clés tels que l’agriculture, les ressources hydriques, le transport et la santé sont considérables, et le pays doit développer de nouvelles stratégies pour y faire face.
En octobre dernier, le Gouverneur de la BRH, M. Ronald Gabriel, a souligné les efforts de la plus haute institution financière du pays dans la lutte contre les effets du réchauffement climatique. “Malgré la contribution haïtienne relativement faible à ce phénomène par rapport à la moyenne mondiale, la BRH continue de jouer son rôle, en finançant des travaux de recherche dans ce domaine, car les conséquences dramatiques des changements climatiques deviennent de plus en plus visibles sur l’économie haïtienne.”
Selon lui, cet effort est indispensable, car les changements climatiques compromettent la stabilité des prix, qui est la principale mission de toute banque centrale. Des études ont montré, selon le Gouverneur Gabriel, qu’ils y parviennent de trois manières : d’abord, les conséquences des changements climatiques sont susceptibles de perturber la transmission des mesures de politique monétaire aux conditions de financement appliquées aux ménages et aux entreprises, et donc à la consommation et à l’investissement ; ensuite, les changements climatiques risquent de réduire davantage la marge de manœuvre de la politique monétaire conventionnelle en diminuant le taux d’intérêt réel d’équilibre, qui maintient une certaine adéquation entre l’épargne et l’investissement ; enfin, les changements climatiques et les mesures d’atténuation de leurs effets peuvent avoir une incidence directe sur la dynamique de l’inflation.
Une préoccupation régionale
La région caribéenne, composée essentiellement de petits États insulaires en développement (PEID), demeure l’une des plus vulnérables face aux dérèglements climatiques. Le 15 mai dernier, le Conseil du commerce et du développement économique (COTED) de la CARICOM a tenu sa 112e réunion extraordinaire sur l’environnement et le développement durable. Pennelope Beckles-Robinson, ministre de la Planification et du Développement de Trinité-et-Tobago et présidente de cette réunion, a expliqué que la région est caractérisée par des capacités institutionnelles et des ressources financières limitées, et reste très vulnérable aux influences extérieures.
Selon elle, la région dépend largement de ses ressources marines, mais aussi d’écosystèmes sains. Pourtant, ces derniers sont aujourd’hui menacés par le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution plastique, ce qui accroît la vulnérabilité de la région face à leurs conséquences.
“On estime que la zone économique exclusive (ZEE) des PEID représente… 28 fois la superficie du pays. Ainsi, la plupart des ressources naturelles dont nous bénéficions sont liées aux océans et aux espaces marins. Les moyens de subsistance associés à des industries comme le tourisme et la pêche représentent une part importante du PIB de nos pays, qui bénéficient également de manière significative des ressources biologiques sous forme de nourriture, d’eau potable, de réduction de l’érosion des côtes, de formation de sol et de sable et de protection contre les vagues de tempête”.