Malgré leur rôle central, les femmes haïtiennes restent sous-représentées dans l’économie. Les experts s’accordent : leur inclusion et autonomisation économiques sont essentielles pour renforcer la croissance et assurer un développement durable.
En Haïti, l’observation superficielle peut masquer la profondeur des problèmes économiques. Dans les rues animées, les marchés, les caisses de magasins ou les institutions financières, la présence féminine est indéniable. Cependant, cette visibilité ne se traduit pas nécessairement par un véritable pouvoir économique. La réalité est bien plus complexe.
Que ce soit à l’échelle nationale ou mondiale, les défis auxquels font face les femmes dans les espaces économiques et financiers sont considérables, surtout dans les pays en développement. Selon l’ONU, près de 60 % des emplois occupés par les femmes à travers le monde se trouvent dans l’économie informelle, un chiffre qui atteint 90 % dans les pays à faible revenu.
Djenaï A. Clément est économiste bancaire à Port-au-Prince. Elle affirme que les femmes sont sans conteste le pilier de cette économie informelle et du commerce de détail dans le pays. Mais les obstacles sont nombreux, limitant le développement de leur potentiel économique.
“En dépit de la résilience dont elles font preuve, elles sont fréquemment confrontées à des obstacles socio-économiques majeurs, notamment le manque d’accès au crédit et à l’éducation” – Djenaï A. Clément
Dans ce contexte, l’économiste estime qu’il est urgent d’ouvrir aux femmes un accès au capital, afin de développer et diversifier leurs entreprises, contribuant ainsi à la réduction de la pauvreté et à l’indépendance financière. Pour Djenaï A. Clément, cette action permettrait aux femmes de jouer un rôle actif dans la revitalisation économique de leurs communautés, en créant des emplois locaux, stimulant ainsi l’économie et apportant une stabilité sociale dans les régions touchées par des crises récurrentes.
“En investissant dans des projets communautaires et en améliorant l’accès aux services essentiels comme l’éducation et la santé, les femmes entrepreneures contribuent directement au bien-être général de leurs communautés. Les exemples de réussite de ces entrepreneures servent de modèles inspirants, encourageant plus de femmes à entrer dans le monde des affaires, ce qui peut mener à un changement progressif des normes sociétales et à une plus grande égalité des sexes” – Djenaï A. Clément
“En réduisant les inégalités de genre dans l’accès au crédit et aux services financiers, Haïti peut tirer parti du potentiel économique inexploité de ses citoyennes”, estime Djenaï A. Clément
Le secteur financier est impitoyable pour les petites bourses, et encore plus pour les femmes, qui doivent surmonter des préjugés tenaces. Pour l’économiste, l’accès des femmes au crédit est limité en raison de plusieurs facteurs, dont “certains préjugés les percevant comme moins capables de gérer des affaires ou des finances, les taux d’intérêt élevés, le manque de garanties nécessaires pour obtenir des prêts, le manque de formation en gestion financière…”
“La sensibilisation et la lutte contre les stéréotypes de genre dans les institutions financières sont cruciales pour promouvoir l’égalité d’accès et promouvoir la diversité dans les institutions financières pour une meilleure représentation des femmes dans l’économie haïtienne”. – Djenaï A. Clément
Pour surmonter ces obstacles, Djenaï A. Clément recommande la mise en place de programmes de microcrédit spécifiques aux femmes, avec des conditions plus favorables et des taux d’intérêt réduits, ainsi que des campagnes de sensibilisation sur les capacités et les droits financiers des femmes. Cette approche est essentielle pour le progrès économique du pays, car en accédant à des services financiers, les femmes peuvent agrandir leurs commerces, s’impliquer davantage dans divers secteurs d’activités haïtiens, voire même créer et développer des entreprises, générant ainsi des emplois et stimulant l’économie locale.
Pour elle, il n’existe aucun doute que “l’autonomisation financière des femmes conduit à de meilleures dépenses en santé, éducation et bien-être familial, renforçant ainsi le développement humain et la stabilité économique à long terme”.
“L’inclusion financière des femmes n’est pas seulement une question de justice sociale, mais un outil puissant pouvant favoriser une croissance économique soutenue et inclusive.” – Djenaï A. Clément
Carmelle Coqmar : créatrice de talent et inspiratrice d’entrepreneuriat féminin
Si le métier de cordonnerie-botterie semble être réservé aux hommes, Carmelle Coqmar en a fait une affaire de femmes. En 2016, elle a fondé la COLLECTION 1804, une entreprise spécialisée dans la confection, la réparation et la vente de produits en cuir faits à la main, typiquement haïtiens. De plus, elle se consacre à la formation et à l’encadrement de jeunes femmes en difficulté, désireuses de devenir artisanes.
Huit ans plus tard, cette entrepreneure et psychologue de formation a déjoué les pronostics, prouvant que ce métier d’homme peut également être celui d’une femme. Dirigeant une entreprise prospère qui répond aux goûts de tous, Carmelle Coqmar est fière de son succès. Elle propose des produits uniques, d’une qualité largement supérieure à celle du marché, mettant en valeur les talents et les matières premières locaux.
Pourtant, ce succès n’est pas sans peine. Les préoccupations de l’économiste Djenaï A. Clément sont le quotidien de l’entrepreneure, qui doit subir la méfiance et la discrimination, en plus des défis auxquels font face tous les entrepreneurs du pays.
“Généralement, tous les entrepreneurs en Haïti font face à de nombreux défis. Mais il est d’autant plus difficile pour une femme d’entreprendre compte tenu des idées reçues, des stigmatisations et des stéréotypes auxquels elle est souvent confrontée.” – Carmelle Coqmar
Dans son secteur, être designer en cordonnerie-botterie et maroquinerie est parfois vu comme une “insulte”. Tant en Haïti qu’à l’étranger, la même question revient souvent : “Comment se fait-il qu’une femme confectionne des chaussures et des sandales?”.
« Moi qui investis dans un domaine conventionnellement reconnu aux hommes, me retrouve face à un ensemble de barrières qu’il faut combattre au jour le jour ». – Carmelle Coqmar
Pourtant, pour Carmelle, pas question de se laisser atteindre. Avec une forte personnalité, elle continue d’avancer, contre vents et marées.
« Je travaille ardemment à cultiver une forte personnalité, à me concentrer sur ma passion et ma détermination à atteindre mes objectifs et à déconstruire cette idée négative qui pourrait décourager des jeunes via des conférences, des foires, des foires-expos, etc. » – Carmelle Coqmar
Face à “la léthargie, la négligence et le manque de vision” des autorités publiques, Carmelle estime qu’aujourd’hui, il est du devoir des femmes de “s’organiser entre elles, prendre des initiatives, mobiliser leurs ressources et leur potentiel pour pouvoir percer les mystères, franchir les barrières en vue d’atteindre leurs objectifs fixés dans quels que soient leurs domaines d’intervention allant de l’éducation à la politique en passant par l’entrepreneuriat”.
“L’heure est au réseautage. Donc, les femmes doivent s’unir pour se doter de cette force, cette masse critique indispensable au développement socio-économique du pays.” – Carmelle Coqmar