Quand la pluie tombe sur la ville, nous devenons poètes par humilité.
Je t’ai rencontré soudainement dans un bar… Non ! La toute première fois, c’était à la Direction Nationale du Livre (DNL). Je m’en souviens. Plus tard, nous nous sommes retrouvés, dans l’intimité d’un verre épicé de calvaires. Au fil de longues discussions sur les livres et les auteurs, notre amitié s’est solidifiée. Et voici, des années plus tard, les bêtes politiques ont piqué et mordu le destin de la terre dessalinienne, au point de faire trébucher le pays sous nos yeux. Horrible désastre ! L’intranquillité de la ville, c’est l’heure la plus grave.
Quand nous nous retrouvons chez toi ou dans d’autres lieux, tu m’accueilles toujours avec une escorte d’espoirs. Chaque gorgée de whisky ou de bière est une bouffée de nuits chaudes. Mon cœur, souvent inondé de tristesse, se rallume sous des soleils joyeux et des feux de poèmes. Certains croient fermement que nous sommes des extraterrestres des aires froides, car nous marchons et buvons nos colères sous toutes les lunes. Et souvent, même la peur qui hante la ville frissonne à notre passage.
Aucun vent n’a pu arrêter ni abîmer nos désirs fous et fragiles. Pour nous, la poésie est une respiration, un souffle intense. Demain, où irons-nous ? T’inquiète pas, mon frère ! Maintenant, je te parle de notre amour fraternel. Pour nous, le salut réside dans notre soif de vivre, même quand les mauvais souvenirs des déplacés de Port-au-Prince hurlent à nos pieds, tels des enfants perdus. Quand, le soir, les verres pleurent notre absence dans les bars, toute la ville perd son souffle.
Parfois, il pleut des balles à grosses gouttes dans le ciel. Mais notre engagement à préserver notre sensibilité face aux rues, aux fleurs, aux lumières, aux passants et aux étoiles, tient encore la main à nos cœurs. Ce qui me dérange parfois, c’est cette alarme de l’incertitude qui sonne sans relâche, dans l’horloge des lieux où les poèmes s’endorment ivres, comme si c’était normal. Incroyable !
Toi, frère de mes mots aiguisés de douleurs abominables,
nous portons l’amour cru dans nos mains.
Les nuits, sans passeport, s’envolent toujours
vers nos cœurs, refuges des fleurs sans abri.
Hier encore, je t’observais,
blessé par un vieux miroir qui reflétait nos sentiments malades,
celui avec qui nous partageons des fragments de sourires.
Alors que la ville n’a pas encore terminé sa leçon de grammaire du vivre-ensemble,
il pleut dans nos verres comme il pleut dans notre âme,
île de douce folie mystérieuse.
J’ai crié tous mes complexes,
mes poumons sont devenus des sanctuaires de prières pour vieilles tristesses.
La prochaine fois, ce sera la lune [choucoune], notre plus beau chapelet.
Oh, quel miracle ! Je dis silence, je dis l’eau, l’absinthe des rosées.
Je suis un vers-papillon, et toi, l’hémistiche des arbres bleus.
Ensemble, nous préparons des cerises pour le printemps des anges.
Chapeau, camarade, pour l’amour que tu as tant donné aux instants sans palabres.
Chapeau pour les roses que tu as offertes aux nuits oubliées.
Chapeau surtout pour tes blessures d’enfant affamé, qui me rappellent les miennes.
Quelle belle humilité, cette manière de glacer toutes nos plaies indicibles. Éternel oiseau !