L’évolution du numérique en Haïti, bien que freinée par des infrastructures matérielles insuffisantes, ouvre des perspectives inédites pour les entrepreneurs et les consommateurs. Dans un contexte de défis économiques persistants, l’essor du commerce en ligne se profile comme une opportunité stratégique pour dynamiser la croissance et favoriser l’innovation dans le pays.
L’ère numérique redéfinit le paysage économique mondial, et Haïti n’échappe pas à cette dynamique de transformation. Cette émergence, bien que tardive et encore peu encadrée par la législation nationale, facilite grandement les interactions économiques, ouvrant des perspectives inédites pour les entrepreneurs avides d’innovation et les consommateurs en quête de nouvelles expériences et de simplicité.
Cependant, pour l’économiste Djim C. Guerrier, alors que le commerce électronique a connu une croissance significative en Haïti ces dernières années, malgré un passé en marge de la technologie, il n’existe à ce jour aucune donnée fiable sur son évolution actuelle dans le pays.
“Évaluer l’impact du e-commerce demeure complexe en l’absence de recherches spécifiques pour Haïti. Les données actuelles reposent principalement sur des suppositions et des extrapolations provenant d’autres régions,”
reconnaît l’économiste lors d’une interview avec Azuéi – Le Journal.
“Techniquement, il n’y a pas de commerce électronique en Haïti”
Jude Pierre Louis est un expert en service à la clientèle et en e-commerce, avec une vaste expérience construite et enrichie au fil des ans.
“J’ai commencé à travailler avec des entreprises de commerce électronique en 2016. Au début, j’étais simplement chargé de répondre aux chats et aux emails des clients. Quelques mois plus tard, je m’occupais de la facturation, des remboursements, des réclamations, de la fidélisation des clients et de l’exécution des commandes,”
a confié à Azuéi – Le Journal celui qui est également animateur du podcast Facteur d’Impact.
“Jusqu’à présent, j’ai travaillé à distance avec plus de 20 entreprises de e-commerce différentes dans le monde entier. J’ai travaillé avec Burn Controllers, Hockerty, Tophatter, pour ne citer que ceux-là,”
a-t-il ajouté.
Pour Jude Pierre Louis, bien que les réseaux sociaux aient aidé bon nombre de vendeurs à toucher une clientèle et à écouler leurs produits, on ne peut pas parler de e-commerce en Haïti, car celui-ci s’appuie sur la technologie et les plateformes numériques, y compris les sites web, les applications mobiles et les médias sociaux, pour rendre l’achat et la vente possibles. Il s’explique:
“Quelqu’un poste un produit sur Instagram, un acheteur potentiel est intéressé et se renseigne sur la taille, la couleur, etc. Il/elle peut demander à ce que le produit soit expédié chez lui/elle ou rencontrer le vendeur dans un lieu public pour conclure la vente. Aucune transaction financière en ligne n’a été effectuée.”
“La transformation numérique a permis aux entreprises haïtiennes d’atteindre plus de clients et d’être plus visibles. Elle a probablement augmenté leur chiffre d’affaires, mais à mon avis honnête, et sans vouloir dénigrer aucune entreprise, il n’y a eu aucun progrès en termes de service à la clientèle. Elles n’utilisent pas ces outils numériques pour éduquer leurs clients, et ne poussent pas non plus leurs clients à utiliser leurs outils en ligne,”
ajoute Jude Pierre Louis.
Également, le spécialiste rappelle qu’aujourd’hui encore, “pour obtenir un service, qu’il s’agisse de banque, de commerce de détail ou de télécommunications, la plupart des utilisateurs ou des consommateurs doivent encore se rendre physiquement dans un bureau pour régler un problème qui aurait pu être traité sur une application, par courrier électronique ou en discutant en ligne”.
L’économiste Djim Guerrier, bien qu’il ne va pas jusqu’à dire qu’il n’y a pas de e-commerce en Haïti, reconnaît que les faiblesses au niveau des infrastructures imposent une limite.
“En Haïti, le système de paiement électronique est encore en phase de développement, loin d’atteindre les normes optimales. La confiance dans les transactions en ligne est également un défi, accentué par les risques de cyberattaques et d’escroqueries. De plus, le cadre réglementaire est en retard, avec une absence de déclaration de revenus et de législations spécifiques,”
conclut Djim C. Guerrier.
Des opportunités à saisir!
Malgré tous les défis, le commerce électronique offre des opportunités significatives pour le développement durable en Haïti, selon Djim Guerrier. L’innovation technologique, dit-il, permet de repenser les modèles d’affaires, favorisant l’entrepreneuriat et l’accès à de nouveaux marchés mondiaux. Également, l’économiste pense que cela peut contribuer à l’inclusion sociale et à la réduction du chômage, tout en permettant une gestion “plus écologique des ressources”.
Pour contrer les obstacles qui limitent cette transformation numérique en Haïti, Jude Pierre Louis profite de l’occasion pour prodiguer ses conseils à ceux qui souhaitent se lancer dans le e-commerce.
“Pour ceux qui souhaitent se lancer dans le e-commerce, il est conseillé de commencer par une étude de marché approfondie afin de comprendre les besoins et les préférences des consommateurs, ainsi que d’identifier les segments de marché les plus prometteurs. Investir dans une plateforme de commerce électronique fiable et conviviale est essentiel pour assurer une expérience utilisateur fluide, ce qui peut se traduire par une fidélisation accrue des clients. De plus, la mise en place de systèmes de paiement sécurisés et diversifiés, adaptés aux habitudes locales, peut faciliter les transactions et inspirer confiance aux clients. Enfin, il est recommandé de développer un réseau de distribution efficace, capable de gérer les défis logistiques en Haïti, afin d’assurer des livraisons rapides et fiables, ce qui est crucial pour le succès et la croissance d’une entreprise de e-commerce.” – Jude Pierre Louis
Lude Milar et le commerce en ligne : une histoire de réussite
Lude Milar, 23 ans, est originaire de Mirebalais, et elle gagne sa vie grâce au commerce en ligne. Pour elle, l’affaire est simple : elle achète des accessoires tels que des lunettes, des bijoux, des sacs à main, mais aussi des vêtements d’occasion grâce à des plateformes en ligne, qu’elle revend ensuite par l’intermédiaire des réseaux sociaux.
Répondant aux questions de Azuéi – Le Journal, elle raconte son histoire :
“Au début, je n’avais pas de business. Je ne faisais que poster des articles pour les commerces de quelques amis sur mes pages, car j’avais beaucoup de contacts. Pour moi, c’était facile. Une fois que je mettais quelque chose en ligne, je trouvais vite des acheteurs.”
Après ses études au secondaire, Lude Milar s’est posée la bonne question : “Et si je le faisais pour moi ?” Et depuis, le commerce en ligne est devenu son gagne-pain.
“J’ai commencé par me trouver un nom commercial, puis un logo. Ensuite, j’ai cherché à intégrer le maximum de groupes et de forums possibles. J’ai aussi commencé à utiliser Marketplace et Instagram. Quand j’ai démarré, ça s’est révélé bien plus compliqué que je ne le pensais. Mais j’ai été patiente, disciplinée et ambitieuse. J’ai accepté que parfois, il fallait accepter de perdre un peu pour gagner plus,”
raconte la talentueuse Lude Milar.
Pour elle, ce vieil adage du capitalisme dit vrai : “le client est roi !”
“J’ai également appris à bien choyer mes clients, à les servir, et à perfectionner mes publications. Parfois, pour que ton affaire marche bien, tu dois augmenter tes dépenses afin de séduire les acteurs. Par exemple, il faut investir dans la présentation, l’emballage, et y apposer ton logo. Ces efforts encouragent les acheteurs, et ils te félicitent et encouragent.”
Lude Milar se veut lucide face à ses envies d’expansion. Pour elle, formaliser ses affaires et avoir un local, c’est bien en soi, mais la conjoncture est mauvaise et elle ne veut pas prendre de risques.
“Avoir un local n’est pas chose aisée. Ça coûte cher, et avec l’instabilité du pays, c’est un investissement à haut risque. Mais j’y pense, un jour peut-être je le ferai, mais ce n’est pas pour tout de suite. Surtout, en ce moment, mes affaires marchent !”
nous confie la jeune mirbalaisienne.
Cependant, comme pour toute chose, les affaires de Lude Milar ne connaissent pas que des jours avec. Les jours sans, c’est pour tout le monde. Pourtant, ils ne suffisent pas à l’arrêter. Elle a confiance et accepte les réalités du marché.
“Il y a toujours des avantages et des inconvénients à tout. Parfois, tu fais des commandes en ligne, et on te livre un produit différent, de qualité médiocre, ou défectueux. Il m’est arrivé de perdre un investissement, et d’autres fois, les pertes sont dues à d’autres raisons. Mais ça arrive. Ce qui importe, c’est que je me sens libre grâce à mes activités de e-commerce, et elles prennent soin de moi.” – Lude Milar