Pour la cinquième sortie de la rubrique « La vie des mots », le chroniqueur Frantzley Valbrun et l’équipe d’Azuéi – Le Journal vous offrent une carte blanche pour un voyage spécial, mêlant les langues et la douleur. « Monólogo Híbrido / Monologue Hybride » de Ricardo Auguste est une histoire poignante qui incarne la triste réalité des migrants haïtiens au Chili.
Né à Port-au-Prince le 7 juin 1985, Ricardo Auguste est journaliste de profession, communicateur social, acteur de théâtre, diseur-parolier, danseur, peintre en herbe, écrivain et poète haïtien d’expression française, créole et espagnole. Il réside depuis plusieurs années au Chili, sa terre d’accueil, où il vit avec sa famille, l’amour pour la poésie et sa culture natale toujours présents.
Faisant partie des premières générations de poètes haïtiens à se faire un nom sur la terre de Pablo Neruda, Gabriela Mistral et Juan Cristóbal, Ricardo Auguste marque la littérature contemporaine haïtiano-chilienne d’une touche indélébile dans un contexte crucial et chargé de chocs culturels.
Il compte déjà environ trois recueils de poèmes : Songes infectés (2013), Plen pip (2014), Kout zegwi (2015). Mil frases en mis brazos et Monólogo híbrido sont les derniers nés de ce jeune surréaliste en pleine floraison littéraire. Il a également traduit un texte poétique français du poète haïtien Frantzley Valbrun en espagnol. Son répertoire inclut deux albums de poésie sur CD et il participe à plusieurs anthologies telles que Letras del Maule, Contagiarte et Poeta a mar abierto.
Dans un registre spécial et intime, ce récit intitulé « Monólogo Híbrido / Monologue Hybride » parle d’un personnage important qui a marqué la vie de l’auteur, Robert Dubois Auguste, un poète haïtien qui a quitté Haïti à cause de l’insécurité pour s’installer en Amérique du Sud, plus précisément à Valparaiso, au Chili. Il raconte que, même sur sa terre natale, ce personnage, qui était son oncle, excellait dans les domaines artistiques comme la peinture, la poésie et la musique.
Cet oncle est mort dans un accident. Subitement. Une histoire bouleversante. C’est comme une table tournante qui a chamboulé la vie du narrateur, qui avait une relation très attachante et dépendante avec le défunt. Ce dernier lui avait appris à être homme, à se tenir debout face aux aléas de la vie et aux répressions du système capitaliste mondial.
Cette perte humaine a plongé l’auteur dans une inquiétude quotidienne, laissant un goût amer. C’est comme un « goudougoudou » ravageant sa vie, transformant son existence en un espace désuet, dénué de tout recours existentiel.
« J’avais l’impression de perdre à la loterie quand je voyais que l’insécurité l’avait chassé du pays, pour aller vivre au Chili qui était à ce moment-là, le pays qui allait recevoir plus de 50 000 Haïtiens. Mon oncle est parti. Rapidement, j’ai fait face à une crise de personnalité sans précédent. Moi qui aimais le théâtre, les répliques et l’art dans sa dimension subversive et dégoûtante. », raconte Ricardo Auguste.
Cet extrait nous renvoie l’image poignante d’un homme désemparé par la mort, où ses entrailles semblent se déchirer, déchirées par l’amour fraternel et la présence des personnes protectrices, des potomitan, qui lui transmettent constamment de bonnes vertus.
« Il m’a tout appris sur l’art quand il vivait en Haïti. J’ai perdu mon oncle que j’ai beaucoup adulé. », « Un son, une note, qui ne pouvait pas charrier l’art dans sa dimension thérapeutique et ludique, étaient à mes oreilles, vides de sens – du bruit. Je cherchais le vide, le repos et le silence. J’étais si déterminé. Je faisais des sacrifices considérables. Il m’arrivait parfois de contrôler les rythmes de mon corps, à savoir, l’accélération de mon cœur et de mon souffre, tout comme je baissais le volume de la radio de maman jusqu’à ne plus rien entendre. », insiste l’auteur, dans ce triste récit.
Ainsi, avec ce récit tranchant, le narrateur nous plonge dans une sorte de douleur hybride, exprimée en deux langues, mais reflétant une seule réalité objective : celle de la précarité en Haïti, propagée et fragmentée par la migration massive de nos compatriotes à l’étranger.
« Pour moi, le silence avait le secret des sages et pouvait régulariser ma vie. Le silence est ce doux parfum qui ne dérange pas la grossesse des femmes. Le silence a son propre calme plat et ce calme plat a besoin d’un habitat, autrement dit, d’un espace de confort. Le seul endroit passible d’être habité en toute quiétude du fait qu’il possède le silence en abondance s’appelle cimetière; la maison des morts. Je voulais y séjourner, mais ce temps n’était pas encore venu. », martèle le narrateur Ricardo Auguste.
Ce récit est également un éclairage sur la réalité criante de la majorité des Haïtiens de la diaspora. Une sorte de reportage qui s’investit depuis le lieu subjectif du silence, imposant la contrainte des mers et une rhétorique des algues indignées à travers des instants hybrides constamment en déroute. Lire Monólogo Híbrido / Monologue Hybride de l’écrivain Ricardo Auguste, c’est partager la flamme exponentielle de l’écriture littéraire haïtiano-chilienne à son apogée. Sauvetage !